« Bouclier tarifaire » : cette expression a fait son entrée dans le quotidien des Français le 30 septembre 2021, en plein contexte de hausse des prix de l’électricité et du gaz.
La volonté de l’État à travers cette mesure ? « Prémunir (les consommateurs) contre la hausse des tarifs » en limitant à 4 % l’augmentation des tarifs de l’électricité en février 2022. C’est à grand renfort d’interventions médiatiques que le gouvernement Castex a promu avec ferveur cette mesure alors présentée comme inédite et supposément salvatrice.
Puis février 2022 est arrivé, sonnant l’heure tant redoutée de la révision des tarifs réglementés de l’électricité. Étonnamment, ni bilan sur l’efficacité du bouclier tarifaire, ni recensement des réels bénéficiaires de cette mesure n’ont été réalisés à ce moment.
Pourtant, le résultat est sans appel : la facture des millions d’abonnés au tarif réglementé d’EDF a subi une hausse supérieure aux 4 % annoncés par Jean Castex. Certaines ont même bondi de 11 %.
Le tarif réglementé a donc augmenté largement plus que prévu, bien qu’il demeure plus économique que la plupart des offres de fournisseurs alternatifs, directement affectées par l’explosion des prix de l’énergie.
Alors, qui a réellement bénéficié du bouclier tarifaire à 4 % ?
Lite vous éclaire sur la situation grâce à des données concrètes issus de ses analyses exclusives.
Sommaire
- 1 🛡 Bouclier tarifaire à 4% : qu’est ce que c’est ?
- 2 🔥 Bilan : les tarifs ont augmenté de plus de 4% en février 2022
- 3 📣 Augmentation des tarifs d’EDF : qui sont les vrais perdants ?
- 4 ⏳ Les abonnés aux heures pleines / heures creuses, seuls bénéficiaires du bouclier tarifaire à 4% ?
- 5 👀 Bouclier tarifaire 2022 : et après ?
🛡 Bouclier tarifaire à 4% : qu’est ce que c’est ?
Face aux inquiétudes quant à l’impact de la flambée des prix de l’électricité sur la facture des Français, le gouvernement a réagi.
Dès la fin du mois de septembre 2021, il s’est engagé à limiter la hausse des prix de l’électricité à 4 % lors de la réévaluation des tarifs réglementés de vente (TRV) de février 2022.
Pour ce faire, le gouvernement entendait alors actionner le levier de la fiscalité en réduisant certaines taxes sur l’électricité. Rappelons qu’une facture EDF est toujours composée de trois parties : le prix de la fourniture d’énergie, le prix de l’acheminement et le prix des taxes.
C’est ainsi que la TIFCE (Taxe Intérieure sur la Consommation Finale d’Électricité), également appelée CSPE (Contribution au Service Public de l’Électricité), est passée de 22,5 €/MWh à 1 €/MWh pour les clients résidentiels et à 0,5 €/MWh pour les entreprises (tarifs en vigueur jusqu’au 1er février 2023, soit pendant un an jusqu’à la première révision des tarifs réglementés en 2023). Il s’agit là d’une baisse aussi inédite que drastique, puisqu’elle correspond aux montants minimums imposés par le droit européen.
Mais c’était sans compter sur l’intensification de l’augmentation des prix de l’électricité qui ont doublé entre octobre et décembre 2021 : la livraison d’électricité pour l’année 2023 a ainsi atteint le seuil des 250 €/MWh à la fin de l’année 2021, alors qu’elle était encore évaluée à 120 €/MWh en octobre.
L’annonce prometteuse du bouclier tarifaire serait-elle arrivée dans une situation trop incertaine ?
Pour rester au plus près de sa promesse et limiter l’augmentation des prix de l’électricité, le gouvernement s’est vu dans l’obligation de prendre des mesures complémentaires. C’est ainsi qu’en janvier 2022, à la veille de la réévaluation biannuelle des tarifs, l’État a demandé à EDF d’augmenter ses capacités de dotation d’énergie nucléaire via les mécanismes de l’ARENH (Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique), dans le but de réduire la quantité d’électricité à acheter sur les marchés.
🔥 Bilan : les tarifs ont augmenté de plus de 4% en février 2022
Les calculs de Lite montrent que, pour des millions d’abonnés au TRV d’EDF, l’ouverture de la dernière facture d’électricité a eu un goût amer :
- + 5 à 10 % pour la plupart des consommateurs en tarif Base (1) ;
- Jusqu’à + 11 % pour un compteur de 3 kVA en tarif Base (1).
Malgré des actions sans précédent, force est de constater que la promesse gouvernementale de limiter la hausse des tarifs réglementés à 4 % n’a pas été respectée.
Comment expliquer cet échec ?
L’UFC Que Choisir arguait récemment que la limite à 4 % TTC annoncée correspondait en fait à une moyenne intégrant la totalité des tarifs réglementés, toutes options confondues. De plus, le gouvernement s’est vu dans l’incapacité de contenir les différents axes d’augmentation des prix de l’électricité, dont la dynamique n’a cessé de s’amplifier.
📣 Augmentation des tarifs d’EDF : qui sont les vrais perdants ?
Les conclusions des calculs mis en place par Lite sont limpides : l’augmentation tarifaire d’EDF a eu des conséquences pour les abonnés, mais de façon notablement disparate : tous les consommateurs ne sont pas logés à la même enseigne.
Le niveau de variation des prix entre janvier et février 2022 dépend de plusieurs paramètres :
- L’option tarifaire ;
- La puissance souscrite ;
- La consommation annuelle.
Et le constat est clair : les clients d’EDF ayant opté pour un abonnement au TRV en option « Base » sont les plus affectés par les augmentations supérieures à 4 %, alors que les autres s’en sortent (un peu) mieux.
La preuve par l’exemple : pour la famille Electron, qui cumule une consommation de 10 MWh/an et qui a souscrit une puissance de 9 kVA en option Base, l’augmentation du TRV est de + 8 % en février 2022. Sa facture annuelle se retrouve ainsi majorée de 134 €, passant de 1 776 € à 1 910 € (1). Pour cette famille, à l’image de tant d’autres, la promesse du bouclier à 4 % semble déjà bien lointaine.
Aujourd’hui, environ 70 % des foyers français sont abonnés au tarif réglementé d’EDF. Les foyers ayant choisi des offres de fournisseurs alternatifs peuvent avoir été affectés plus fortement par la hausse des prix de l’électricité. Pour mieux comprendre, jetons un œil aux augmentations imposées par les fournisseurs alternatifs :
Ces graphiques de 2021 et 2022 parlent d’eux mêmes : les tarifs appliqués par la plupart des fournisseurs ont bondi et désormais, les abonnés au TRV d’EDF sont loin d’être les plus mal lotis. En témoigne la facture de la famille Électron, qui peut varier de 1 844 €/an à …. 5 653 €/an, selon l’offre choisie. En s’abonnant au TRV d’EDF, elle s’élèvera 1 910 €/an (chiffres constatés pour une consommation annuelle de 10 MWh et puissance souscrite de 9 kVA en option Base, tarifs en vigueur en mars 2022).
Pas de doute. Si l’État n’était pas intervenu dans la régulation des prix de l’électricité, l’augmentation aurait été encore plus forte :
- + 35,4 % TTC pour les consommateurs résidentiels ;
- + 35,9 % TTC pour les consommateurs professionnels encore éligibles au tarif bleu d’EDF (2).
Ainsi, l’intervention du gouvernement a permis au TRV de se hisser parmi les offres les plus économiques du moment.
Mais une chose est sûre : malgré tous ses efforts, le gouvernement ne parviendra pas à juguler éternellement cette augmentation tarifaire, encore accrue par le contexte géopolitique actuel.
⏳ Les abonnés aux heures pleines / heures creuses, seuls bénéficiaires du bouclier tarifaire à 4% ?
Voici une autre conclusion inattendue du bouclier tarifaire : l’option Heures Pleines / Heures Creuses qui redevient rentable pour un grand nombre de profils, y compris ceux qui peinent à décaler leurs consommations pendant les plages d’heures creuses.
Cela va même plus loin : ce sont les abonnés Heures Pleines / Heures Creuses profitant le moins de leurs heures creuses qui subissent les plus faibles hausses de prix de l’électricité en février 2022 ! Ainsi, tous les foyers HP/HC qui concentrent moins de 50 % de leurs consommations électriques pendant les heures creuses subissent moins de 4 % d’augmentation. Étonnant, n’est-ce pas ?
Prenons l’exemple de la famille Electron, avec 10 MWh/an d’électricité consommée, une puissance de 9 kVA et un abonnement Heures Pleines / Heures Creuses. Pour ce foyer, l’augmentation de la facture EDF est bel et bien limitée à 3,8 % … si, et seulement si, elle effectue moins de 40 % de sa consommation totale d’électricité durant les heures creuses (1).
C’est donc un véritable retournement de situation : les variations de montants entre les factures de janvier et de février 2022 restent plus modérées pour les abonnés Heures Pleines / Heures Creuses que pour les abonnés à l’option Base.
Cela s’explique notamment par le renforcement de l’écart entre le prix du kWh Heures Pleines et celui du kWh en option Base. Ce dernier a littéralement explosé, alors que le tarif Heures Pleines n’a que légèrement augmenté. Le prix du kWh en Heures Creuses a également augmenté de façon considérable : c’est cela qui justifie que les consommateurs n’exploitant pas leurs périodes d’heures creuses soient les plus avantagés.
👀 Bouclier tarifaire 2022 : et après ?
La question est légitime lorsqu’on sait que les mesures de limitation mises en place n’avaient que vocation à temporiser ponctuellement la hausse des prix de l’électricité, qui plus est dans un contexte de campagne présidentielle.
Les tarifs réglementés de vente d’EDF sont révisés deux fois par an, en février et en août. Alors, faut-il craindre une nouvelle flambée des prix à la fin de l’été 2022 ? Pourrait-elle être pire que la précédente?
Selon les dernières déclarations en date, le gouvernement entend continuer à protéger le pouvoir d’achat des Français : « Je souhaite qu’on prolonge le bouclier tarifaire (…) jusqu’à la fin de l’année (2022) », annonçait le ministre de l’Économie et des Finances Bruno Lemaire le 1er mars dernier sur France Info (3).
Pourtant, la fin de cette mesure exceptionnelle était prévue pour juin 2022. « Je crois que notre responsabilité, c’est de protéger les particuliers, les ménages, c’est la priorité absolue ». Le ministre ajoutait également vouloir intégrer certaines entreprises à cette aide collective, bien qu’il soit, selon lui, « impossible de protéger toutes les entreprises contre cette augmentation ».
Interrogé sur France Info le 8 mars, le secrétaire d’État Gabriel Attal confirmait cette position en ajoutant qu’il ne pouvait, pour l’instant, donner plus de précisions sur le pourcentage du prochain bouclier tarifaire. Mais l’État sera-t-il en mesure de tenir sa promesse malgré les événements actuels ?
D’autant que le prix de livraison de l’électricité actuellement en vigueur conditionne directement le prix de vente au client final qui sera proposé dans 3 ans. Les interrogations sont simples : les Français devront-ils bientôt payer l’électricité au prix (très) fort ? Si oui, à quel moment ?
Julien Gorintin, directeur d’innovation chez Lite et expert du marché de l’électricité, livre sa vision de l’avenir : « Le lissage se fera progressivement. Si les prix du marché de gros redescendent, les Français pourraient payer une forme de moyenne ». En revanche, de nouvelles augmentations pourraient affecter significativement le budget des consommateurs.
Mais le futur des prix de l’électricité est aussi, et surtout, entre les mains du prochain gouvernement. Chèque énergie pour les plus démunis, mise au point d’un tarif reflétant la réalité du marché : voici des solutions qui pourraient limiter les conséquences, selon Julien Gorintin de Lite. L’un des risques, c’est que le bouclier tarifaire soit financé indirectement par les impôts, et non directement par les consommateurs, « ce qui n’incite pas à la sobriété », ajoute-t-il.
Pour résumer, la limitation de la hausse des prix de l’énergie par l’État dans un contexte inédit est une équation à plusieurs inconnues et inclut des enjeux tous plus importants les uns que les autres : c’est pourquoi aujourd’hui, il semble peu raisonnable d’avancer des estimations sur les scenarii futurs.
Chez Lite, nous croyons qu’il est plus que jamais nécessaire d’aider les Français à limiter leur budget électricité en amorçant leur transition énergétique.
(1) Source : Lite – Analyses de l’impact de l’évolution du TRV d’EDF, 2022. Résultats complet sur demande par mail à bonjour@lite.eco
(2) Source : Ministère de la Transition Écologique – Mise en oeuvre du blocage à 4 % de la hausse des tarifs réglementés, 2022.
(3) Source : France Info, Bruno Lemaire sur la prolongation du bouclier tarifaire, 2022